La jeune fille à la perle

Son regard est à la fois vague et précis, présent et perdu dans le vide. Il semble nous transpercer. Il y a ici comme l’idée d’une présence. La jeune fille est la vraie Joconde : sa beauté nous éclaire depuis presque 400 ans, son visage à la courbe si fine, au teint si délicat, fragile comme cette perle pendant à son oreille légère.

 

Il est probable que le personnage soit la plus âgée des filles de Johannes Vermeer, alors adolescente. Celle-ci pourrait d’ailleurs apparaître dans plusieurs de ses tableaux. L’artiste néerlandais a peint des dizaines de tableaux représentant des femmes : il semble qu’il ait souhaité reproduire les différents rôles domestiques quotidiens des femmes de son entourage, ménagères travaillant à garder le foyer hors du chaos, œuvrant sans relâche à éduquer la génération suivante.

 

Le sujet semble ici interrompu, juste tourné pour faire face à celui qui vient de l’appeler. Dans son regard, transparaissent le mystère et l’attente. Les couleurs ne sont aucunement laissées au hasard. La veste couleur ocre n’attire pas l’œil sur elle mais sur le col d’un blanc pur qui, lui même, se reflète dans la perle, symbole de chasteté et de pureté, peut-être de l’idée religieuse. Le blanc se retrouve également dans les yeux et les lèvres humides qui eux, évoquent l’étonnement. La couleur blanche permet en réalité d’exprimer la lumière. Le turban, enroulé autour de sa tête, est d’un bleu profond, drapé d’une façon presque géométrique : tout, ici, est extrêmement précis. Sa bouche est légèrement entrouverte, renforce l’effet de surprise et fait le lien. La bouche à la fois innocente et sensuelle. Le nez est fondu dans la joue droite, rajoute au mystère. Vermeer, comme souvent, maîtrise parfaitement l’ombre et la lumière.

 

Dans le regard, dans le sourire, dans la lèvre presque offerte, dans l’éclat du visage se trouve la vraie perle. Dans cet éclair qui fulgure, comme fulgure la perle dans les ténèbres, jaillit un secret, un mystère aussi dense et éternel que celui que l’on peut trouver dans la « Mona Lisa » de Léonard de Vinci. Il est probable que Vermeer se soit servi d’une « camera oscura » ( sorte de projecteur qui reproduit une image sur une surface plane ). Mais le génie du maître est toutefois évident, lorsqu’il parvient à donner vie à la lumière elle-même. Le positionnement du visage permet un jeu d’ombres élaboré qui trouve son point d’orgue dans le reflet scintillant de la perle.

 

Le tableau, peint à l’huile sur une toile de dimension moyenne – 44,5 x 39 – et présenté dans un cadre de bois sculpté avec des motifs floraux, n’est pas daté. On estime cependant que sa réalisation date des environs de l’année 1665. Il semblerait que le tableau soit une commande d’un des clients et protecteurs du peintre : soit le boulanger Hendrick van Buyten, soit un riche percepteur nommé Pieter van Ruijven, principal mécène de l’artiste. Vendu aux enchères à Amsterdam le 16 mai 1696, le tableau appartient alors à un lot numéroté 38, 39 et 40. Il passe ensuite entre les mains de notables de Delft, ville dans laquelle est né le peintre, avant de tomber dans l’oubli pendant deux siècles. Au début du 20ème siècle, Victor de Stuers, découvre cette œuvre non signée et pense qu’il s’agit d’une œuvre de Vermeer : il en parle à son ami collectionneur Arnoldus Andries des Tombe, qui l’achète aux enchères pour quelques florins. L’hypothèse se révèle juste : le nettoyage de la toile fait apparaître le nom du peintre. Le collectionneur lèguera l’œuvre, en 1903, au musée du Mauritshuis, à La Haye. Le tableau y est toujours conservé et exposé.

 

Au départ, le tableau de Vermeer n’avait pas de nom : on l’appelait simplement Tronie, du nom du genre de peinture très en vogue dans les provinces unies au milieu du 17ème siècle, distinctif de l’âge d’or de la peinture néerlandaise ( le mot néerlandais signifie « visage » ). En 1908, il est appelé « La Jeune Fille » ou « Tête de jeune fille ». Après la seconde Guerre Mondiale, on l’intitule « Jeune Fille au turban ». En 1995, le Mauritshuis lui-même appelle le tableau « La Jeune Fille à la perle ».