Le ventre notre 2° cerveau

Le ventre notre 2° cerveau

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Avec la participation des spécialistes internationaux de la thématique, ce film nous permet de mieux comprendre la place centrale du tube digestif dans notre vie quotidienne, notre bien-être et notre santé, et nous dévoile son rôle dans l’évolution humaine. Organe essentiel à la survie, notre tube digestif doit permettre la digestion et l’absorption des aliments tout en nous protégeant des agressions de l’environnement (bactéries, virus, toxiques). Des fonctions très sophistiquées et contrôlées par un véritable cerveau qui s’est développé au coeur même notre ventre. Il est constitué d’environ 200 millions de neurones (l’équivalent d’un cerveau de chat) répartis tout le long de notre tube digestif. Plus communément désigné sous le terme de second cerveau, en raison de sa forte similitude avec notre premier cerveau, il dialogue et interagit étroitement avec celui-ci pour modifier nos comportements et nos émotions.

Ce documentaire nous offre un nouveau regard sur le rôle clé joué par le tube digestif et notre alimentation dans de nombreuses pathologies chroniques (obésité, syndrome de l’intestin irritable, dépression, anxiété, maladies neuro-dégénératives - dont la maladie de Parkinson - et du vieillissement). Véritable voyage au coeur de notre ventre, il nous dévoile le microbiote intestinal, cet « organe » constitué par 10 fois plus de cellules que celles formant l’ensemble de notre organisme et hébergé par notre tube digestif, et nous fait découvrir son rôle clé sur la santé et les maladies chroniques, un rôle qui commence seulement à être appréhendé.

Le ventre, notre deuxième cerveau donne également un coup de projecteur sur l’excellence nantaise et des Pays de la Loire développée dans le domaine - à l’interface des préoccupations de santé et économiques actuelles - et contribue à son rayonnement national et international. Il met en lumière une préoccupation sociétale majeure dans les Pays de la Loire : la santé, le bien-être et le bien vieillir, intégrant la prévention et l’amélioration de la prise en charge des maladies chroniques. Une préoccupation soutenue par le fort développement régional des secteurs économiques clés auquel elle se rattache (industrie agroalimentaire et végétale, biothérapies). Ce documentaire, dont le conseiller scientifique est le Dr Michel Neunlist, directeur de la recherche de l’institut des maladies de l’appareil digestif (Imad) du CHU de Nantes et qui a été réalisé avec la participation de plusieurs spécialistes nantais (dont Philippe Damier - note du rédacteur BM-), souligne l’expertise scientifique et médicale développée au sein de l’Imad et de la Région.

 février 2014

 

 Stanislas Bruley des Varannes - hépato-gastro-entérologie et assistance nutritionnelle

 

 

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Parkinson : le cerveau, mais aussi le ventre ?

Parkinson : le cerveau, mais aussi le ventre ?


Quand on parle de la maladie de Parkinson, on pense irrémédiablement à une atteinte du cerveau. Pourtant, depuis quelques années, on découvre des connexions de cette pathologie avec le système digestif et avec le microbiote. Ces liens ont favorisé l'émergence de nouvelles méthodes de diagnostic, plus aisées à pratiquer sur des personnes vivantes !

 

 

 

Plusieurs célébrités sont ou ont été atteintes par la maladie de Parkinson. Les gazettes ont fait état des atteintes au cerveau des acteurs Michael J. Fox et Robin Williams, de la créatrice Sonia Rykiel, du boxeur Mohamed Ali et du cuisinier Paul Bocuse. Aujourd'hui, il conviendrait d'ajouter les liens de la maladie avec le système digestif. 

 

Un papyrus égyptien du xiie siècle avant notre ère décrit un roi bavant, un symptôme dans lequel certains voient le signe de la maladie de Parkinson. Ce n'est pas le seul document historique lié à cette atteinte dont on peut voir la trace dans la Bible, dans un traité de médecine indienne du xe siècle avant notre ère, dans les écrits de Galien au iie siècle... Cette maladie ne sera décrite précisément qu'au xixe siècle (par James Parkinson) et étudiée par Charcot. Dès le début du xxe siècle, des traitements sont proposés... L'histoire de la maladie de Parkinson est longue, mais, quelle que soit l'époque, elle reste associée au cerveau, et uniquement à cet organe. Et pourtant...

 

Depuis une quinzaine d'années, un autre organe est au centre d'un nombre croissant d'études sur cette maladie : il s'agit du tube digestif. De fait, et on l'ignore souvent, cet organe est également touché par la maladie. Qui plus est, ce foyer pourrait être impliqué dans la progression générale de la maladie et serait une source potentielle de marqueurs diagnostiques et de l'évolution de la maladie. Alors, la maladie de Parkinson est-elle aussi une maladie digestive ?

 

Avant de répondre, récapitulons ce que l'on sait. La maladie de Parkinson est une maladie du mouvement qui touche 120 000 personnes en France. Elle se traduit par une difficulté à répéter rapidement des gestes, par une augmentation du tonus et par un tremblement. Ces signes moteurs sont la conséquence d'une perte accélérée des neurones à dopamine (un neurotransmetteur important des circuits moteurs) de la substance noire. Cette petite structure pigmentée, d'environ 400 000 neurones, est située dans le tronc cérébral (qui fait la jonction entre moelle épinière et cerveau).

 

Trahi par les corps de Lewy

 

Les premiers symptômes de la maladie apparaîtraient à partir d'une perte de 50 % des neurones de la substance noire. L'analyse au microscope des neurones « survivants » révèle qu'ils recèlent des dépôts anormaux, nommés corps de Lewy. Ils sont essentiellement constitués d'une protéine, l'alpha-synucléine, dont le rôle physiologique est encore débattu. Il est cependant vraisemblable que cette protéine, qui peut passer d'un neurone à un autre, soit impliquée dans la diffusion et l'extension de la maladie.

 

La maladie de Parkinson ne se limite pas à une atteinte des mouvements, car les patients atteints par la maladie présentent de nombreux autres symptômes, regroupés sous le terme de signes ou de symptômes non-moteurs. Parmi ces signes, les troubles digestifs sont particulièrement fréquents et gênants. De fait, un ralentissement du temps de transit est observé chez la quasi-totalité des patients parkinsoniens que ce soit au niveau de l'estomac ou du colon.

 

Plusieurs études épidémiologiques ont montré que le risque de développer une maladie de Parkinson était plus important chez les patients constipés et ce, plus de 10 à 15 ans avant l'apparition des signes moteurs. Ces signes digestifs seraient la conséquence de l'atteinte de deux structures clés pour la motricité du tube digestif au cours de la maladie de Parkinson, le noyau dorsal moteur du vague et le système nerveux entérique, c'est-à-dire de l'intestin.

 

Le noyau dorsal moteur du vague est une petite structure située dans le bulbe rachidien, dans la partie basse du tronc cérébral. Le neurotransmetteur principal y est l'acétylcholine. Les fibres nerveuses issues de ce noyau empruntent un trajet cervical puis thoracique pour gagner l'abdomen où elles se connectent, via des synapses, aux neurones du système nerveux entérique pour venir activer la motricité digestive et donc favoriser le transit dans son ensemble. Des corps de Lewy sont observés à la fois dans les neurones du noyau dorsal moteur du vague et dans le système nerveux entérique des patients touchés par la maladie de Parkinson .

 

Ces corps de Lewy s'accompagnent d'une perte de neurones dans le noyau dorsal moteur du vague, mais pas dans le système nerveux entérique. La part respective de ces deux structures dans la survenue des troubles digestifs au cours de la maladie de Parkinson reste à préciser.

 

L'anatomiste et neuropathologiste allemand Heiko Braak a décrit de façon très précise la progression des lésions de la maladie d'Alzheimer. Il a utilisé la même approche dans la maladie de Parkinson en étudiant les cerveaux autopsiés de 41 patients parkinsoniens. Heiko Braak a montré que la totalité des cerveaux étudiés, sans exception, avaient des corps de Lewy dans le noyau dorsal moteur du vague. Il en a conclu que cette petite structure était un passage obligé du processus pathologique.

 

L'hypothèse de Braak

 

Une étude complémentaire menée sur 5 sujets a révélé que le système nerveux entérique et le noyau dorsal moteur du vague contenaient des corps de Lewy de façon isolée chez un des sujets. Ces observations ont conduit Heiko Braak à proposer l'hypothèse qui porte désormais son nom et selon laquelle le système nerveux entérique est le premier maillon d'une chaîne d'événements neurodégénératifs menant au système nerveux central dans la maladie de Parkinson. En d'autres termes, la maladie de Parkinson commencerait dans le tube digestif.

 

Dans son scénario, Braak suggère qu'un neurotoxique ingéré puisse être l'événement initiateur qui déclencherait la formation de corps de Lewy dans les neurones digestifs, dont les plus proches ne sont situés qu'à quelques micromètres de la lumière digestive .

 

L'alpha-synucléine pathologique des corps de Lewy progresserait ensuite le long des axones des neurones, via le nerf vague jusqu'au noyau dorsal moteur du vague pour en fin de compte pénétrer dans le système nerveux central. Pour séduisante qu'elle soit, cette hypothèse centrée sur le système nerveux entérique est largement débattue et a été remise en question par plusieurs études.

 

Si l'on doit n'en retenir qu'une, l'étude de Thomas Beach, du Banner Sun Health Research Institute, dans l'Arizona, aux États-Unis, est probablement la plus informative. Le neuropathologiste a pu analyser en détail le cerveau et les intestins de 466 personnes décédées et atteintes de maladie de Parkinson. Résultat ? Il n'a trouvé aucun patient chez qui le système nerveux entérique était touché sans que le système nerveux central ne soit atteint lui aussi. Dans ces conditions, difficile d'affirmer l'antériorité de l'intestin dans la maladie.

 

Ces données ainsi que celles issues d'autres travaux, remettent en cause l'hypothèse de Braak. Bien qu'intéressante, elle est probablement un peu trop simpliste ou stéréotypée pour rendre compte du développement d'une maladie aussi complexe et hétérogène que la maladie de Parkinson. Dès lors, comment la reconnaître ?

 

Un diagnostic plus facile

 

Le diagnostic de maladie de Parkinson est avant tout clinique. Ce sont les symptômes rapportés par le patient et l'examen clinique qui autorisent le diagnostic. Les examens complémentaires, en particulier l'imagerie cérébrale, n'apportent que relativement peu d'information. Idéalement, seule l'analyse en microscopie d'une petite zone de la substance noire qui montrerait une perte de neurones et des corps de Lewy permettrait de poser un diagnostic formel de la maladie.

 

Toutefois, les biopsies de cette zone sont impossibles chez le sujet vivant, car elle est enfouie profondément dans le système nerveux central et inaccessible en routine. Que des lésions identiques à celles du cerveau soient présentes dans les intestins des patients parkinsoniens a donc suscité un grand intérêt car, à l'inverse du cerveau, le tube digestif est facilement accessible chez un individu vivant. Avec l'aide d'un endoscope, on peut aisément procéder à des biopsies, ces techniques étant utilisées en routine par les gastro-entérologues, par exemple pour dépister le cancer colorectal ou un ulcère duodénal.

 

Dans le contexte de la maladie de Parkinson, l'analyse d'une simple biopsie digestive pourrait mettre en évidence des corps de Lewy et donc conduire à un diagnostic de la maladie chez des patients vivants. Dans une étude pilote menée au laboratoire, nous avons montré que l'analyse des biopsies digestives permettait de détecter des corps de Lewy chez près de 75 % des patients atteints de maladie de Parkinson. Ces anomalies n'étaient pas présentes chez des sujets sains ni chez des patients souffrant d'autres maladies neurodégénératives.

 

Forts de ces premiers résultats encourageants, peut-on envisager de diagnostiquer et de suivre l'évolution de la maladie de Parkinson (par exemple l'effet de traitements) à partir d'une simple biopsie digestive ? Une limite à notre technique est posée par la nécessité de disséquer rapidement les biopsies. Ce peut être un problème pour des études à grande échelle, car cette dissection prend du temps et requiert un personnel particulier.

 

Biopsies et paraffine

 

Pour remédier à ces difficultés, d'autres approches ont été proposées, comme celle consistant à inclure les biopsies directement dans un bloc de paraffine, qui permet une analyse plus standardisée et différée des biopsies. Toutefois, cette technique est moins sensible que la nôtre et est incapable de distinguer de façon satisfaisante les patients parkinsoniens des sujets indemnes de maladie neurodégénérative. Des études complémentaires, fondées sur d'autres techniques de détection des corps de Lewy, sont en cours de développement. Une simple biopsie digestive réalisée en routine sera peut-être bientôt suffisante pour diagnostiquer la maladie de Parkinson…

 

La proximité anatomique du microbiote et des terminaisons des neurones entériques, qui ne sont séparés que de quelques micromètres, a logiquement conduit plusieurs équipes à étudier la flore digestive des sujets parkinsoniens.

 

Les résultats de plusieurs études (finlandaise, nord-américaine, japonaise...) ont été publiés récemment. Ils ont tous mis en évidence des différences dans la composition de la flore digestive entre les parkinsoniens et des sujets témoins du même âge. Même si les résultats étaient parfois divergents, ils montraient globalement que la flore digestive des parkinsoniens contenait plus de bactéries capables de générer une inflammation que celle des témoins indemnes de maladie neurologique.

 

Ce résultat interpelle lorsque l'on sait que l'inflammation est reconnue depuis de nombreuses années comme étant un facteur potentiellement aggravant de la maladie de Parkinson. Ces résultats intéressants posent plus de questions qu'ils n'en résolvent et il reste encore à déterminer si les modifications du microbiote intestinal observées chez les patients parkinsoniens jouent un rôle dans le développement de la maladie.

 

Des éléments de réponse ont été apportés très récemment. Timothy Sampson, de l'institut de technologie de Californie, à Pasadena, aux États-Unis, et ses collègues ont évalué le rôle du microbiote intestinal dans un modèle de souris transgéniques. Ces rongeurs développent une maladie proche de celle de Parkinson avec une atteinte de la motricité, des signes digestifs ainsi que des lésions voisines des corps de Lewy observés chez l'homme.

 

Dans l'expérience, les souris transgéniques (toutes atteintes donc) recevaient soient la flore digestive de patients parkinsoniens soit celle de sujets témoins. De façon remarquable, les souris qui avaient reçu le microbiote des patients parkinsoniens ont développé des signes moteurs et digestifs plus rapidement et plus sévèrement que les souris traitées avec du microbiote de témoin.

 

En outre, les signes d'inflammation étaient plus marqués dans le cerveau des souris traitées par le microbiote de parkinsoniens. L'ensemble de ces résultats suggère donc fortement que le microbiote intestinal joue un rôle dans la progression et la sévérité de la maladie et que ces effets seraient la conséquence d'une augmentation de l'inflammation.

 

Bien qu'enthousiasmants, ces résultats doivent encore être confirmés par d'autres équipes et en utilisant d'autres modèles de souris « Parkinson ». Ils ouvrent néanmoins la voie à une stratégie thérapeutique intéressante qui permettrait de ralentir l'évolution de la maladie de Parkinson en agissant directement sur le microbiote digestif. On pourra alors dire que la maladie de Parkinson est bien une maladie digestive.

 

 

 

Ivana Schroder

  

Alice Prigent 

   

Pascal Derkinderen

 

travaillent au service de neurologie du CHU de Nantes (Inserm U1235).

 

 

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Le microbiote intestinal dicte-t-il notre humeur et nos comportements ?

Le microbiote intestinal dicte-t-il notre humeur et nos comportements ?

Les scientifiques commencent seulement à prendre véritablement la mesure du rôle de notre microbiote, ces innombrables micro-organismes qui vivent sur et dans notre corps. Le tube digestif abrite à lui seul plus de 10 000 milliards de bactéries – majoritairement anaérobies, c’est-à-dire qui n’ont pas besoin d’oxygène pour vivre. Sans compter les virus, les levures et les champignons. L’influence du microbiote de l’intestin sur la régulation de nos fonctions vitales aurait ainsi été considérablement sous-estimé jusqu’à la publication des travaux décisifs de ces cinq dernières années.

 

La découverte la plus frappante est sans doute celle de liens entre les perturbations de cette flore intestinale et des troubles psychiatriques comme l’anxiété, la dépression, les troubles bipolaires, la schizophrénie, ou encore un trouble neurodéveloppemental comme l’autisme. Il est trop tôt, à ce stade, pour affirmer qu’il s’agit d’une cause, et non pas d’une conséquence de ces troubles. Néanmoins, l’hypothèse selon laquelle la communauté microbienne abritée par notre intestin détermine en partie notre humeur et nos comportements mérite d’être étudiée. Si elle venait à être confirmée, cela ouvrirait des perspectives de prévention ou de traitement inédites en santé mentale.

 

Les trois premières années de la vie, période clé

 

Le microbiote intestinal se forme au cours des trois premières années de la vie. Il reste ensuite relativement stable au cours de la vie mais peut être transitoirement modifié, par exemple par un nouveau régime alimentaire, une infection intestinale ou un traitement antibiotique. Le rôle de cet écosystème est fondamental dans la motricité intestinale, c’est-à-dire la progression des aliments dans le système digestif. Il l’est aussi dans le développement du système immunitaire, protégeant l’individu contre l’agression de certaines pathogènes. Il l’est, enfin, dans le système métabolique, participant à la digestion, influençant l’absorption et la distribution des nutriments voire, en cas de maladie, des médicaments.

 

On estime actuellement que 90% des maladies pourraient avoir un lien avec des perturbations du microbiote, les unes causant les autres ou inversement. On parle de « dysbiose », pour des situations dans lesquelles une altération de la biodiversité du microbiote peut occasionner des effets négatifs pour l’individu. La « paucibiose » fait référence à la perturbation quantitative du microbiote, c’est-à-dire une baisse du nombre total de bactéries, indépendamment du nombre d’espèces différentes.

 

Les effets de telles perturbations sur les comportements ont été mis en évidence, pour l’instant, par des études sur des modèles animaux. Ainsi des chercheurs ont fait naître des rats par césarienne, dans des conditions stériles, pour qu’ils aient le moins de contacts possible avec des micro-organismes présents chez leur mère ou dans l’environnement. Ces rongeurs développent rapidement des troubles comportementaux évoquant des maladies psychiatriques : le repli sur soi, une perte de poids, des troubles du sommeil, de l’anxiété, la perte de l’hygiène voire des automutilations.

 

Or ces troubles s’avèrent réversibles si on administre à ces mêmes rats des probiotiques (des bactéries bonnes pour leur santé) au cours des six premières semaines de leur vie. Au-delà, les troubles deviennent irréversibles, suggérant que le microbiote joue un rôle crucial dans la période de développement du système nerveux central.

 

Comment le microbiote influence le cerveau

 

Qu’en est-il chez l’homme ? Notre microbiote peut influencer notre cerveau par plusieurs voies. Il peut modifier la perméabilité intestinale (c’est-à-dire le passage des molécules à travers la paroi de l’intestin vers la circulation sanguine et de là vers le cerveau), moduler l’inflammation au niveau de l’intestin et dans le sang, l’absorption de nutriments bénéfiques ou essentiels pour le cerveau, et influencer le système nerveux autonome responsable des réactions d’éveil et de fuite. Ces phénomènes semblent être à l’œuvre dans plusieurs types de troubles.

 

À ce jour, les chercheurs ont surtout étudié le lien entre la perturbation du microbiote intestinal et l’autisme, un trouble neurodéveloppemental caractérisé par la diminution des interactions sociales et de la communication, avec des comportements stéréotypés et répétitifs. L’autisme s’accompagne très fréquemment de troubles digestifs. Les enfants autistes, comparés aux non-autistes, auraient dix fois plus de bactéries de type Clostridium, une augmentation des Bacteroidetes et Desulfovibrio, et une diminution des Firmicutes et Bifidobacterium.

 

Une augmentation de la perméabilité intestinale (l’intestin jouant moins bien son rôle de filtre retenant les pathogènes) a également été décrite dans l'autisme, ainsi qu’une élévation de marqueurs d’inflammation dans le sang. De nombreuses autres anomalies au niveau de la paroi de l’intestin et de la composition des selles chez ces enfants ont également été rapportées.

 

Le syndrome de l’intestin irritable associé à l’anxiété

 

À l’inverse, des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, comme le syndrome de l'intestin irritable, sont associées à des taux très élevés d’anxiété et de dépression. De tels taux ne sont pas retrouvés dans d’autres maladies chroniques non-inflammatoires pourtant tout aussi difficiles à vivre au quotidien.

 

Chez les patients souffrant de troubles dépressifs majeurs, une faible sécrétion d'acide gastrique a été rapportée. Cette diminution de l’acidité gastrique a été associée à la croissance (réversible) du microbiote au niveau de l’intestin grêle, ce qui peut entraîner des troubles digestifs, une augmentation de la perméabilité intestinale, de la malabsorption des nutriments, des épisodes de diarrhée ou de constipation.

 

Une autre observation plaide en faveur du rôle du microbiote intestinal dans la régulation ou le déclenchement des troubles anxio-dépressifs. Des bactéries sécrètent des substances qui sont aussi des neurotransmetteurs, c’est à dire des composés chimiques produits par les neurones pour agir comme messager en direction des autres neurones. Ainsi, certaines souches de Lactobacillus et de Bifidobacterium produisent de l’acide gamma-amino-butyrique (GABA). Les genres Escherichia, Bacillus, et Saccharomyces produisent de la noradrénaline ; Candida, Streptococcus, Escherichia, et Enterococcus produisent de la sérotonine ; alors que Bacillus et Serratia peuvent produire de la dopamine. Tous ces neurotransmetteurs jouent un rôle majeur dans les mécanismes de la dépression.

 

La schizophrénie et les troubles bipolaires, des maladies psychiatriques chroniques sévères, ont également fait l’objet de travaux. Une étude récente s’est intéressée aux marqueurs de translocation bactérienne anormale, des molécules qui, en temps normal, doivent être trouvées seulement à l’intérieur de l’intestin. Quand ces molécules sont trouvées dans le sang, cela peut être le signe d’une augmentation de la perméabilité de l’intestin. Ce phénomène a précisément été observé chez des personnes touchées par ces deux maladies.

 

La recherche sur le rôle du microbiote et son influence sur nos comportements en est à ses balbutiements. Ce champ de recherche apparaît aujourd’hui comme un possible chaînon manquant pour expliquer comment se déclenchent ou perdurent certaines maladies mentales. Des probiotiques, des prébiotiques (des substrats favorisant la croissance de souches de bactéries bénéfiques) et des approches nutritionnelles spécifiques sont utilisés actuellement dans certaines pathologies intestinales. Pourraient-ils trouver, un jour, une utilité dans le domaine de la santé mentale ? De nouvelles études seront nécessaires avant de pouvoir confirmer, ou infirmer, l’efficacité de telles interventions.

 

 

Psychiatre, intervenant, Sorbonne Université

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Les maladies mentales viennent-elles du ventre ?

Les maladies mentales viennent-elles du ventre ?

       

 

Les indices d'une implication des bactéries intestinales dans certaines maladies mentales s'accumulent. Faut-il soigner celles-ci par le ventre plutôt que par le cerveau ?

 

 Notre tube digestif abrite une communauté microbienne comptant près de cent mille milliards de bactéries. Composé d'environ un millier d'espèces différentes, ce « microbiote intestinal » représente une diversité génétique énorme. On le considère aujourd'hui comme un véritable organe, situé à l'interface des aliments ingérés, qu'il contribue à digérer, et de la muqueuse intestinale. Il échange des signaux moléculaires avec cette dernière, ce qui lui permet in finede communiquer avec tout l'organisme. Au cours des dix dernières années, le séquençage du génome du microbiote (le métagénome) et l'analyse des espèces chimiques qu'il produit ont progressé grâce à diverses avancées techniques. Les chercheurs ont alors accumulé des preuves d'un lien entre la physiologie de l'hôte et le microbiote, qui va jusqu'à influencer le cerveau.

 

On a ainsi montré que certaines maladies étaient associées à des déséquilibres du microbiote, nommés dysbioses. L'encéphalopathie hépatique est l'une d'elles. Ce syndrome neuropsychiatrique se manifeste, entre autres, par de l'anxiété et des troubles de l'humeur et de la cognition. Il est principalement causé par une insuffisance hépatique (un dysfonctionnement du foie), mais il se caractérise aussi par une composition particulière du microbiote intestinal. Ce dernier produit en quantité excessive certaines substances, tel l'ammoniac, qui ne sont plus détoxifiées par le foie et s'accumulent de façon anormale dans la circulation sanguine et le cerveau.

 

L'utilisation d'antibiotiques ou de prébiotiques (des composés alimentaires non digestibles qui stimulent l'activité ou la croissance des bactéries intestinales) permet de diminuer les troubles neuropsychiatriques, signe d'une influence du microbiote sur le cerveau. Cette influence s'exerce-t-elle même dans un organisme sain ? Joue-t-elle un rôle dans d'autres maladies du système nerveux central ? Par quels mécanismes les bactéries intestinales peuvent-elles agir à distance sur le cerveau ? C'est à ce type de questions qu'un nombre croissant de chercheurs tentent de répondre depuis quelques années.

 

Les biologistes ont mis au point deux stratégies pour étudier l'effet du microbiote intestinal sur le cerveau. La première se fonde sur des animaux dits axéniques, qui sont privés de ce microbiote ; on observe les dysfonctionnements de leur organisme et on tente de les corriger par l'inoculation d'un microbiote. La seconde stratégie, appliquée à la fois chez l'homme et chez l'animal, consiste à moduler le microbiote intestinal par l'administration d'antibiotiques, de prébiotiques et de probiotiques (des bactéries ou des levures qui ont divers effets sur le microbiote, dont elles corrigent les déséquilibres dans certains cas), puis à analyser les conséquences.

 

Chez les rongeurs axéniques, le principal dysfonctionnement est une hypersensibilité au stress , constatée pour la première fois en 2004 par Nobuyuki Sudo, de l'Université de Kyūshū, au Japon, et ses collègues. Après avoir immobilisé des souris axéniques et des souris normales pendant une heure, les chercheurs ont montré que la concentration sanguine de corticostérone, une hormone liée au stress, était doublée chez les animaux dépourvus de microbiote. Par la suite, ce résultat a été confirmé à plusieurs reprises, d'abord chez la souris à l'Université McMaster au Canada et à l'Université de Cork en Irlande, puis chez le rat par notre équipe à l'Inra.

 

Le microbiote semble donc avoir un effet modérateur sur la réponse au stress. Peut-on obtenir un effet déstressant en le modulant ? Deux études réalisées en 2011 et 2012 par Javier Bravo, de l'Université de Cork, et ses collègues, et par Afifa Ait-Belgnaoui, de l'Inra, le suggèrent. Les chercheurs ont montré que l'administration de bactéries probiotiques à des rats et des souris atténue la libération de corticostérone provoquée par des situations stressantes.

 

Au niveau comportemental, la réponse au stress se traduit par divers effets : combat, fuite, comportements anxieux... Ces derniers ont été les plus étudiés, à l'aide de tests consistant à analyser la réaction de rongeurs placés dans des situations anxiogènes : forte luminosité, espace ouvert non protégé… Au cours de ces tests, la réponse comportementale des rongeurs axéniques diffère presque toujours de celle de leurs congénères. Les comportements anxieux peuvent être augmentés ou atténués selon les rongeurs et les tests utilisés (ces comportements dépendent de multiples paramètres et ne varient pas forcément de la même façon que la concentration de corticostérone), de sorte que le sens de la régulation exercée par le microbiote fait débat. En revanche, l'inoculation d'un microbiote aux animaux axéniques conduit toujours à une normalisation du comportement anxieux, ce qui confirme l'existence de cette régulation.

 

Une influence sur les émotions

 

De façon générale, le microbiote influencerait la réactivité émotionnelle, comme le suggère une étude réalisée en 2013 par Kirsten Tillisch, de l'Université de Californie à Los Angeles, et ses collègues. Des femmes ayant consommé durant un mois un produit laitier enrichi en probiotiques accordaient moins d'attention à des stimulus émotionnels négatifs, tels des visages exprimant la peur ou l'anxiété ; en outre, l'imagerie cérébrale par résonance magnétique (IRM) a révélé que cette consommation modifiait l'activité de structures cérébrales impliquées dans la perception sensorielle et le contrôle des émotions.

 

En 2013, l'équipe de Timothy Dinan, à l'Université de Cork, a montré que l'absence de microbiote détériore le comportement social. Par exemple, dans un test de sociabilité utilisant un dispositif à trois chambres, les souris axéniques préfèrent la chambre vide à celle hébergeant un congénère, et vont plus volontiers vers une souris qu'elles connaissent que vers une inconnue. Ce comportement traduit une motivation sociale moindre et une peur de la nouveauté. L'inoculation d'un microbiote rétablit chez ces souris un comportement social comparable à celui de souris normales. Nous avons abouti à la même conclusion chez le rat en 2014 : des rats axéniques mis en présence d'un congénère inconnu engagent moins de contacts sociaux que des animaux normaux.

 

Les mécanismes impliqués restent à préciser, mais diverses modifications chimiques du cerveau ont été observées. Les bactéries intestinales influent notamment sur la concentration cérébrale de plusieurs neurotransmetteurs (les substances assurant la communication entre neurones) tels que la dopamine, la sérotonine ou la noradrénaline, et sur celle de neurotrophines (des protéines favorisant la croissance et la survie des neurones). Ainsi, chez les animaux axéniques ou qui ont consommé des probiotiques, les concentrations de ces substances sont modifiées dans plusieurs régions du cerveau. La façon dont le microbiote influe sur ces concentrations est encore inconnue.

 

Un lien entre microbiote et autisme

 

Ces études révèlent l'influence du microbiote sur le cerveau et les effets néfastes de ses déséquilibres. Certaines pathologies neurodéveloppementales ou psychiatriques humaines seraient-elles liées à de tels déséquilibres ? Nous avons vu que pour un syndrome neuropsychiatrique complexe, l'encéphalopathie hépatique, ce lien est établi. Un faisceau d'indices suggère une implication du microbiote dans d'autres pathologies, telles que les maladies du spectre de l'autisme et les troubles de l'humeur .

 

Ainsi, plusieurs travaux ont révélé que le microbiote intestinal d'enfants autistes présentait des différences avec celui d'enfants témoins. L'activité métabolique du microbiote était également particulière, comme l'ont révélé les métabolites retrouvés dans les matières fécales et dans l'urine. Précisons cependant que dans ces études, beaucoup d'enfants autistes avaient reçu de façon répétée dans leur jeune âge des antibiotiques à large spectre, ou suivaient un régime alimentaire spécifique en raison de troubles gastro-intestinaux fréquents. Ces deux éléments ont pu causer un déséquilibre du microbiote intestinal sans rapport avec leur pathologie.

 

Néanmoins, l'hypothèse d'un rôle du microbiote dans l'autisme est accréditée par des résultats publiées en 2013 et obtenus par l'équipe de Sarkis Mazmanian, de l'Institut de technologie de Californie (Caltech), à Pasadena, sur un modèle de souris imitant les anomalies comportementales de la maladie : comportement asocial et stéréotypé, anxiété, déficit de vocalisations (assimilable à des troubles de la communication)… Le microbiote de ces souris présentait des particularités de composition et d'activité métabolique qui évoquaient celles des enfants autistes. Les chercheurs ont ensuite montré que la modification du microbiote intestinal peut améliorer les anomalies comportementales de ces souris : les symptômes de celles traitées avec une souche bactérienne de l'espèce Bacteroides fragilis se sont atténués, tandis que leur microbiote se normalisait.

 

Quelques résultats commencent à être obtenus chez l'homme. En 2000, les équipes de Richard Sandler, de l'Hôpital pour enfants Rush, à Chicago, et de Sidney Finegold, de l'Université de Californie à Los Angeles, ont mené un essai clinique chez un petit groupe d'enfants âgés de quatre à sept ans et atteints d'autisme régressif (une forme d'autisme apparaissant tardivement, après l'âge de 18 mois). Les enfants ont reçu de la vancomycine, un antibiotique ciblant certains groupes de bactéries intestinales dont la composition est différente chez les personnes autistes (et chez les modèles de souris autistes). Leurs anomalies comportementales se sont alors atténuées et leur capacité à s'exprimer s'est améliorée. Ces résultats étayent l'hypothèse d'une implication du microbiote intestinal dans l'autisme. De nombreux autres essais cliniques seront cependant nécessaires pour la confirmer.

 

Un antibiotique qui soigne la dépression ?

 

Qu'en est-il des troubles de l'humeur, telle la dépression ? Plusieurs travaux ont montré que la composition du microbiote intestinal est bouleversée chez des rongeurs présentant un comportement de type dépressif, provoqué soit par une séparation de leur mère dans la petite enfance, soit par la mise hors service de leur système olfactif à l'âge adulte (par l'intermédiaire d'une opération chirurgicale au cerveau). Chez l'homme, une équipe de la Faculté de médecine d'Izumo, au Japon, a découvert en 2012 qu'un antibiotique, la minocycline, atténue les symptômes dépressifs, tels que la tristesse, les insomnies, l'anxiété, etc. Malheureusement, aucune analyse du microbiote intestinal n'a été réalisée dans cette étude, de sorte qu'on ignore si l'effet bénéfique est dû à une modification du microbiote ou aux propriétés anti-inflammatoires et neuroprotectrices de la minocycline (qui limite la mort des neurones et le stress oxydant).

 

D'autres essais cliniques ont montré que la consommation de bactéries probiotiques atténue le niveau d'anxiété et améliore l'humeur ou l'état émotionnel d'individus à tendance dépressive. Cet effet favorable des probiotiques a aussi été observé sur des modèles animaux de dépression. Par exemple, l'administration du probiotique Bifidobacterium infantis à des rats rendus « dépressifs » par une séparation précoce de leur mère améliore leur comportement. Parallèlement, plusieurs paramètres perturbés par la séparation redeviennent normaux, tels que le fonctionnement du système immunitaire et la concentration de noradrénaline (un neurotransmetteur dont le déficit serait une des causes de la dépression) dans le tronc cérébral, où elle est synthétisée.

 

Là encore, de nombreux essais cliniques devront être réalisés pour établir l'efficacité des probiotiques dans le traitement de la dépression. Ces études préliminaires ont tout de même conduit l'équipe de T. Dinan à proposer de définir une nouvelle classe de probiotiques, les psychobiotiques : il s'agirait de micro-organismes vivants qui améliorent les symptômes de patients souffrant d'une maladie psychiatrique, en produisant dans leur intestin des molécules susceptibles d'interagir avec le cerveau.

 

Des ponts entre intestin et cerveau

 

Les mécanismes qui lient ces maladies aux bactéries intestinales restent à élucider, mais on connaît plusieurs moyens par lesquels le microbiote influe sur le cerveau. Deux catégories de molécules seraient en cause : d'une part, celles produites par l'activité métabolique des bactéries et libérées dans l'intestin (il s'agit par exemple d'acides gras issus d'un processus de fermentation) ; d'autre part, celles qui constituent l'enveloppe des bactéries, leurs cils ou leurs flagelles (des prolongements cellulaires dotés de fonctions sensorielles ou motrices). L'action de ces molécules sur le cerveau peut être directe ou indirecte. Dans le premier cas, elles passent dans le sang ou activent les voies nerveuses innervant la muqueuse intestinale. Dans le second, elles provoquent la libération par la muqueuse de certains composés, qui à leur tour passent dans le sang ou activent les voies nerveuses .

 

Les bactéries intestinales libèrent dans l'intestin des molécules très variées, susceptibles d'être transportées par le sang jusqu'au cerveau. Un déséquilibre du microbiote, provoqué par exemple par une infection ou un traitement antibiotique, aboutit parfois à une production excessive de certains de ces composés, qui deviennent alors toxiques pour l'organisme. C'est le cas dans l'encéphalopathie hépatique, où l'ammoniac et les acides gras à chaîne courte fabriqués par le microbiote concourent, avec d'autres composés, au dysfonctionnement cérébral. En 2010, l'équipe de Derrick MacFabe, de l'Université de Western Ontario, au Canada, a reproduit chez le rat des troubles comportementaux assimilables à ceux de l'autisme en injectant dans le cerveau des acides gras à chaîne courte d'origine bactérienne, l'acétate et le propionate.

 

Certaines des molécules synthétisées par les bactéries sont identiques aux neurotransmetteurs humains. Activent-elles les terminaisons nerveuses de la muqueuse intestinale ? On l'ignore, mais l'implication des voies nerveuses dans la communication entre le microbiote et le cerveau est avérée. Les bactéries intestinales agissent sur le système nerveux entérique, un ensemble de neurones situés dans la paroi intestinale et connectés au cerveau par l'intermédiaire du nerf vague. Ainsi, chez la souris, plusieurs expériences ont montré que l'administration de bactéries probiotiques diminue l'excitabilité d'une population de ces neurones, les neurones sensoriels entériques. Deux études réalisées en 2011 par les équipes de Premysl Bercik, de l'Université McMaster, au Canada, et de J. Bravo ont aussi révélé, toujours chez la souris, qu'une section du nerf vague empêchait les probiotiques d'atténuer un comportement anxieux.

 

Les mécanismes moléculaires par lesquels les bactéries intestinales agissent sur les terminaisons nerveuses entériques restent à préciser. Certains seraient en tout cas indirects : selon plusieurs études, le microbiote module l'activité des cellules endocrines de la muqueuse intestinale. Ces cellules sécrètent des petites protéines qui influent sur les neurones, les neuropeptides. Les neuropeptides modulent par exemple la satiété ou l'anxiété, agissant localement sur le système entérique, mais aussi à distance sur le cerveau grâce à leur passage dans le sang.

 

Les cellules endocrines de l'intestin présentent de fins prolongements, qui sont en contact direct avec les bactéries. En culture cellulaire, l'activation de récepteurs situés sur ces prolongements par des molécules de l'enveloppe bactérienne provoque la sécrétion de cholécystokinine, un neuropeptide. D'autres travaux montrent que l'administration d'un mélange de probiotiques et de prébiotiques à des rats augmente la concentration sanguine d'un autre neuropeptide, le neuropeptide Y.

 

Le microbiote module d'autres types d'activités dans les cellules endocrines de l'intestin. Chez les rongeurs, la consommation d'une souche probiotique de Lactobacillus acidophilus augmente le nombre de récepteurs sensibles aux opiacés et aux cannabinoïdes à la surface de ces cellules. Cela provoque une baisse de sensibilité à la douleur, témoin d'un effet sur le cerveau dont les mécanismes sont à éclaircir.

 

Outre les systèmes nerveux et endocriniens, les bactéries intestinales font aussi réagir les cellules immunitaires qui peuplent la muqueuse. Dans certains cas de déséquilibre du microbiote ou d'invasion par des bactéries pathogènes, ces cellules produisent des molécules, les cytokines, qui entraînent des inflammations. Ces cytokines atteignent parfois le cerveau, où elles déclenchent une seconde production de cytokines pro-inflammatoires, cette fois par les cellules dites microgliales. Il s'ensuit une inflammation du tissu nerveux, qui s'accompagne de perturbations du comportement, telles qu'une perte d'intérêt pour l'environnement physique et social, une perte d'appétit ou des altérations cognitives.

 

Inversement, des études chez le rat ont montré que certaines bactéries probiotiques entraînent une baisse de la concentration de cytokines pro-inflammatoires dans le sang et un ralentissement de la dégradation des neurotransmetteurs dans le cortex cérébral. Toujours chez le rat, le probiotique Lactobacillus farciminis atténue l'augmentation des concentrations cérébrales de cytokines pro-inflammatoires consécutive à un stress. Ce probiotique limiterait l'accroissement de la perméabilité intestinale entraînée d'ordinaire par le stress, et donc l'accessibilité des composés bactériens aux cellules immunitaires productrices de cytokines.

 

Notre connaissance du rôle du microbiote intestinal dans la physiopathologie des maladies neurodéveloppementales et psychiatriques est encore sommaire. Les progrès passeront par une meilleure compréhension des mécanismes par lesquels ce microbiote dialogue avec le cerveau. Un accent particulier devra être mis sur l'étude de la période néonatale, cruciale tant pour l'établissement du microbiote intestinal que pour la maturation du cerveau. Nous l'avons vu, des rongeurs dépourvus de microbiote ont une sensibilité exacerbée au stress, qui peut être atténuée par l'inoculation d'un microbiote ; cependant, cette intervention n'est efficace que si elle a lieu peu après la naissance. À l'âge adulte, la normalisation de la sensibilité au stress n'est plus possible, suggérant que le microbiote agit sur le développement de certaines structures cérébrales.

 

Par ailleurs, les analyses du microbiote intestinal de patients souffrant de maladies neurodéveloppementales ou psychiatriques sont aujourd'hui trop peu nombreuses. Leur développement, permis par l'essor des techniques de séquençage du métagénome, sera déterminant pour mieux connaître la physiopathologie de ces maladies et pour concevoir de nouvelles thérapies fondées sur la correction des déséquilibres du microbiote. Les travaux effectués chez les rongeurs avec des probiotiques et des prébiotiques sont encourageants. Il pourrait aussi être intéressant de transplanter des microbiotes, comme le suggère une étude originale conduite à l'Université McMaster au Canada : en 2011, P. Bercik et ses collègues sont parvenus à atténuer le niveau d'anxiété de souris en remplaçant leur microbiote par celui de congénères moins anxieuses.

 

 

 

Sylvie RABOT

 

est chargée de recherche à l'institut Micalis (UMR 1319), au centre Inra de Jouy-en-Josas.

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Une humanité partagée

Une humanité partagée

 

Qui sommes-nous ? Des êtres humains constitués de quelques milliards de cellules ? Le problème est que nous abritons au moins autant de microorganismes, et qu'ils jouent un rôle important dans notre fonctionnement. Nous sommes donc des Chosmo sapiens.

 

 

 

À chaque siècle, l'être humain a perdu de sa superbe et a dû en rabattre de sa supposée supériorité. Avec Copernic, sa Terre n'était plus le centre de l'Univers. La Théorie de l'évolution de Darwin en a fait un animal comme les autres, inscrit dans la longue histoire du vivant, façonnée par la sélection naturelle. La primatologie a estompé les frontières que l'humain avait érigées pour l'isoler de ses cousins les plus proches, les grands singes. En fin de compte, le « propre de l'homme » a vécu. On pourrait croire les occasions pour notre espèce de questionner son identité désormais dépassées. Ce n'est pas le cas, une nouvelle se profile avec insistance.

 

Avec les progrès récents de la microbiologie, la conception de l'identité humaine ne cesse d'évoluer et de s'éloigner de l'anthropocentrisme de l'âge classique. En prenant conscience des rôles cruciaux joués par des partenariats microbiens tout au long de son histoire, Homo sapiens redécouvre sa vraie nature : il est un collectif « métahumain » dont les développements passés, présents et à venir dépendent fondamentalement des microorganismes. En d'autres termes, il est Chosmo sapiens, le terme Chosmo illustrant la fusion du genre humain et du cosmos microbien qui le compose. Cette prise de conscience n'est pas mineure. Un parallèle avec les réflexions sur l'homme augmenté aide à en comprendre les enjeux.

 

Aujourd'hui, la planète est principalement peuplée de microorganismes unicellulaires (bactéries, archées, eucaryotes unicellulaires) et de virus. Les scientifiques estiment le nombre des premiers à 5 3 10 30, tandis que les seconds seraient 10 à 100 fois plus nombreux. Tous ces petits êtres évoluent très rapidement, se modifient les uns les autres et changent le cours de la vie sur Terre. Pourtant, plutôt que ce bouillonnement fascinant d'innovations, de luttes intestines et de coopérations agitant l'infiniment petit, c'est souvent Homo sapiens, notre espèce, qui est au cœur de l'attention scientifique et philosophique.

 

Nous l'avons vu, l'anthropocentrisme n'est pas né de la dernière pluie et cette perspective nous est très familière. Nous nous sommes tous interrogés un jour sur le propre de l'homme, à la recherche de caractéristiques singulières dans notre développement, notre comportement, notre système immunitaire, notre conscience, notre langage. Mais difficile de rester entre soi pour répondre à ces questions. Les développements de la théorie de l'évolution nous plongent d'emblée dans une perspective plus large : Homo sapiens est le résultat d'une longue histoire.

 

L'humain, hybride par nature

 

Celle-ci a commencé il y a très longtemps, au moins deux milliards d'années de cela. Sur Terre, deux types de microorganismes, les archées et les bactéries, se partageaient la planète, coopérant parfois. D'un partenariat endosymbiotique – une bactérie ancestrale emboîtée dans une archée ancestrale – une nouvelle forme de vie a émergé : la cellule eucaryote dont nous dérivons tous.

 

La raison pour laquelle cette étape lointaine de notre histoire ne peut pas être passée sous silence est que chacune de nos cellules en porte encore de nombreuses traces. D'une part, nos instructions génétiques se sont développées sur la base d'un mélange d'instructions ancestrales, certaines provenant de la bactérie, d'autres de l'archée, ce qui signifie que dès les origines, nous sommes fondamentalement hybrides sur le plan génétique. Puis au cours du temps, d'autres gènes, apportés par des virus et des rétrotransposons – des séquences d'adn capables de se déplacer dans le génome (ils dérivent d'une catégorie particulière de virus, les rétrovirus) – sont aussi venus s'inviter dans les génomes de nos ancêtres. Les premiers représenteraient aujourd'hui 8 % des séquences de notre adn, les seconds 34 %. Par ailleurs, l'intérieur de nos cellules abrite des mitochondries, qui sont les descendantes de la bactérie ancestrale. Elles fournissent des ressources énergétiques indispensables.

 

Nous sommes donc fonctionnellement, compositionnellement, organisationnellement mosaïques. C'est un assemblage historique, accidentel, provenant en partie des populations microbiennes et virales, qui a permis le développement des caractéristiques humaines. Or c'est dans cette contingence de notre identité que pour certains le bât blesse, qu'il y a matière à repenser notre humanité faite de bric et de broc (microbiens).

 

Se rêver en cyborg

 

Prenez nos mitochondries : ce sont certes de précieuses usines productrices d'énergie, mais elles sont aussi impliquées dans certaines de nos maladies, et limitent peut-être notre longévité. Fruit du hasard et du bricolage évolutif, Homo sapiens n'est pas aussi efficace, parfait, endurant que certains pourraient le souhaiter. Les théoriciens du transhumanisme ont donc proposé d'augmenter Homo sapiens, d'y ajouter des pièces pour rendre notre corps et notre esprit plus performants. Certains Homo sapiens se sont rêvés cyborgs : êtres duaux avec des traits humains, des prothèses technologiques et surtout des propriétés nouvelles construites collectivement à l'interface entre l'humain et la machine.

 

La raison pour laquelle nous mentionnons ici les cyborgs est que plusieurs questions posées par les transhumanistes pour déterminer où se niche notre humanité aident à comprendre intuitivement celles qui se posent aujourd'hui au sujet de Chosmo sapiens, et donc à saisir des aspects importants de la révolution microbiomique en cours. Par exemple, le lien entre le corps et l'identité humaine dans le cas des cyborgs semble ténu. Cesse-t-on d'être un humain au-delà d'une certaine quantité de prothèses technologiques ou bien quand une majorité de nos traits sont construits à l'interface homme-machine ?

 

Par ailleurs, la capacité d'évolution du corps humain semble moindre et moins rapide que celle des prothèses technologiques. Dans ce cas, l'association avec des composants extrahumains évoluant plus vite que nous peut-elle nous faire perdre ou dépasser notre identité ? Enfin, l'évocation des cyborgs éveille des craintes manifestes. Que se passera-t-il si l'interface homme-machine se révèle instable ? La transformation de l'identité humaine sera peut-être de facto limitée, moins radicale qu'annoncée. À l'inverse, n'y a-t-il pas un risque que ce système homme-machine se déshumanise entièrement, si les technologies composant les cyborgs sont manipulables de l'extérieur ?

 

Des questions semblables sont soulevées par la découverte de Chosmo sapiens, avec une nuance de taille. Chosmo sapiens n'est pas un cyborg, ce n'est pas un posthumain. Homo sapiens a toujours été Chosmo sapiens, simplement il ne le savait pas. S'il doit être qualifié de façon technique, Chosmo sapiens est un métahumain. Il est coconstruit depuis ses origines par des éléments du monde microbien avec lequel il est indéfectiblement lié. Autrement dit, nous sommes fondamentalement pluriels.

 

Pourquoi cela affecte-t-il notre identité ? En chacun d'entre nous, il y a au moins autant de cellules humaines (hybrides, donc) que de cellules microbiennes, 100 à 150 fois plus de familles de gènes microbiens que de familles de gènes humains. Le lien entre corps humain et identité est donc plus ténu que nous ne le pensions.

 

La part de l'interface humain-microbes, encore à établir, est aussi probablement non négligeable. Le microbiome humain – l'ensemble des microbes et de leurs gènes qui interagissent avec notre organisme – affecte ainsi à tout le moins la formation des os, la vascularisation des intestins, le métabolisme, le développement du système immunitaire et, en psychotrope naturel, joue peut-être aussi un rôle dans notre comportement (nous rendant plus ou moins anxieux, plus ou moins sensibles à la douleur). Résidents intérieurs, pilotes, copilotes – le rôle de nos microbes fait l'objet de profonds débats, mais manifestement influe sur des propriétés parmi les plus intimes de notre espèce.

 

Notre identité métahumaine est cependant dynamique à court terme, et peut-être à long terme. L'interface homme-microbiome et l'importance de son impact fluctuent au cours de nos vies parce que nos populations microbiennes changent. Un nouveau-né dépourvu de microbes serait incapable de s'alimenter dans les premiers jours de sa vie : est-il moins humain pour autant ?

 

Les gènes du microbiome de Chosmo sapiens ont en principe une bien meilleure capacité d'évolution que nos propres gènes. En effet, les microbes s'échangent des gènes par transfert latéral et disposent d'un temps de renouvellement beaucoup plus court que le nôtre : des centaines de milliers de générations de microbes se succèdent pendant une génération humaine. Dans ce cas, si notre propre génétique ne contraint pas, en la sélectionnant, la diversité de nos microbes, l'évolution de Chosmo sapiens passera largement par celle de ses résidents intérieurs ! L'avenir de l'humanité sera peut-être tributaire de causes extrahumaines.

 

De Chosmo sapiens à Chaosmo sapiens

 

Pour cette raison, les considérations sur la posthumanité et la métahumanité vont probablement être amenées à se croiser de plus en plus fréquemment. Puisque l'humanité dépend des microbes de manière encore plus contingente qu'on ne l'avait anticipé, certains voudront très probablement modifier nos microbiomes par des approches biotechnologiques pour augmenter Chosmo sapiens : façonner des cyborgs microbiologiques. Si ces approches déstabilisent Chosmo sapiens ou si des modifications à grande échelle du microbiome en résultent, nous serons effectivement déshumanisés.

 

Avant d'inventer un « postmétahumain » et de chercher à explorer de nouvelles identités, il paraît donc judicieux de comprendre, dans le cadre d'études scientifiques contrôlées, comment humains et microbes maintiennent leur équilibre, ce qui orchestre nos affinités mutuelles, et de savoir comment les microbiomes se transmettent au cours des générations. Et si l'on doit se risquer à une prévision : parce qu'Homo sapiens a désormais découvert Chosmo sapiens, nul doute qu'il inventera aussi Chaosmo sapiens en explorant les multiples facettes de sa métahumanité.

 

 

 

Eric Bapteste

 

est chargé de recherche du CNRS à l'institut de biologie Paris-Seine. Il codirige l’équipe Adaptation, intégration, réticulation et évolution à Sorbonne Université, à Paris.

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