De la taille de petits pois, des cerveaux miniatures créés en laboratoire ont surpris leurs inventeurs en développant des réseaux de neurones fonctionnels similaires à ceux des nouveau-nés prématurés. Ces travaux sont publiés dans la revue Cell Stem Cell.
Le premier organoïde de cerveau aux réseaux neuronaux fonctionnels
Cela fait une décennie que des chercheurs ont appris à exploiter des cellules souches (capables d'évoluer en tout autre type cellulaire) adultes pour développer des organoïdes, c'est-à-dire des structures cellulaires modélisant un organe qu'ils souhaitent étudier. Mais jamais ces organoïdes cérébraux n'avaient développé de réseau neuronal actif. "Si vous m'aviez demandé il y a cinq ans si je pensais qu'il serait possible qu'un organoïde cérébral développe un réseau sophistiqué capable de générer des oscillations, j'aurais dit non", dit à l'AFP Alysson Muotri, biologiste à l'université de Californie à San Diego.
Son nouveau modèle d'organoïde cérébral est un million de fois plus petit qu'un cerveau humain. En les mettant en culture, imitant l'environnement du développement cérébral, les cellules souches se différencient en différents types de cellules cérébrales et s'auto-organisent en une structure 3D ressemblant au cerveau en développement. Après quatre à six mois de culture, des membres de son équipe sont venus trouver Alysson Muotri, très surpris. "L'organoïde entier était synchronisé, nous n'avions jamais vu de niveaux d'activité aussi élevés", se souvient dans une vidéo Priscilla Negraes, co-auteure de la publication. Les réseaux apparaissent lorsque les neurones sont matures et deviennent interconnectés.
Photo des organoïdes de cerveau cultivés en laboratoire. Crédits : MUOTRI LAB/AFP - HO.
Si Alysson Muotri a d'abord pensé à un court-circuit ou un bug dans le système de mesure, il se rend finalement compte que ses organoïdes ont dépassé ses espérances. "Nous pouvions clairement voir une activité croissante, jusqu'à des rafales de pics synchronisés en réseau. Cette augmentation de l'activité ne se voyait pas seulement en nombre mais aussi en complexité, reflétant la maturation de l'organoïde", explique-t-il. La percée a été permise en partie par l'amélioration de la procédure et de l'environnement de culture des cellules souches, décrivent les chercheurs dans leur article.
Des oscillations cérébrales synchronisées après 8 mois de maturation
"A 6 semaines, les neurones ne se synchronisent pas vraiment, ils se déclenchent de manière clairsemée et aléatoire. A partir de deux mois, ils commencent à se synchroniser en rafales, sur une seule fréquence", explique Richard Gao, co-premier auteur de la publication. Une tendance observée dans des cerveaux humains très immatures.
"Dès quatre mois, les neurones montrent un pic d'activité très rapide une première puis une seconde fois en quelques centaines de millisecondes : c'est ce qu'on appelle une oscillation. Au bout de six mois, il y a de plus en plus de cycles d'oscillations, c'est très régulier. Mais au huitième mois, les oscillations deviennent moins stéréotypées et sur plusieurs fréquences, comme dans le cerveau humain et animal", continue Richard Gao. Pour les chercheurs, cela signifie que les organoïdes ont développé davantage leurs réseaux de neurones et leurs synapses (connexions entre les neurones, ndlr) entre les six et les huit mois de maturation.
Une activité neuronale similaire à celle d'un nouveau-né prématuré
En comparant le développement de ces organoïdes de plus de 25 semaines (plus de six mois) aux courbes observées chez 39 bébés prématurés, les scientifiques se sont aperçus que les trajectoires étaient similaires. Un algorithme basé sur l'activité cérébrale de ces bébés a ainsi été capable de prédire l'âge des organoïdes. "Cela suggère que nous pourrions utiliser ces organoïdes comme un modèle de neurodéveloppement, ou un modèle de patients spécifiques pour tester certains médicaments", s'enthousiasme Alysson Muotri.
Pour autant "ce n'est qu'un modèle, ça ne mime pas un cortex entier", rappelle Alysson Muotri. Notamment, l'organoïde ne possède pas la diversité des types cellulaires trouvés dans notre cerveau, et il n'est pas vascularisé. Il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'un support intéressant pour étudier le neurodéveloppement précoce, à défaut de pouvoir se pencher sur des embryons humains. "Il y a plusieurs troubles, l'autisme par exemple, dont les gènes impliqués sont très actifs lors de ces stades précoces du neurodéveloppement fœtal."
Mais les organoïdes stoppent mystérieusement leur maturation à partir de dix mois. Pour aller au-delà, la prochaine étape est d'ajouter une stimulation externe, et tenter de connecter ces organoïdes à d'autres régions du cerveau générées séparément.
De nouveaux questionnements éthiques
Ces travaux soulèvent évidemment des questions éthiques auxquelles "en tant que scientifiques nous devons rester très vigilants", affirme Alysson Muotri. "Pour l'instant, ce modèle est très loin de la conscience", réagit en vidéo Michael Kalichman, directeur du centre pour l'éthique dans la science et la technologie, mais il faudra rester vigilant car "il va évoluer vers encore plus de développement, une structure plus complexe". Et bien que des millions de personnes souffrent des maladies que l'on pourrait étudier plus facilement à l'aide de ces organoïdes, pour lui la fin ne justifie pas les moyens.