Alcoolisation fœtale : Un organe inattendu entre en scène  /  Fetal alcoholization: An unexpected organ comes on the scene


 


 

Si l’on sait depuis les années 1960 que la consommation d’alcool chez les femmes enceintes peut provoquer des malformations du fœtus, la recherche clinique n’a pas encore permis de déterminer avec précision dans quelles conditions ces troubles pouvaient survenir.

 

Plusieurs facteurs sont débattus : stade de la gestation, fréquence et quantité d’alcool absorbé, tendance au binge drinking. Mais les effets de l’exposition seront très variables en fonction des individus. Cette incertitude incite hélas les familles à relativiser les risques encourus, même dans les populations sensibilisées. En outre, le slogan "zéro alcool" est parfois perçu comme une injonction exagérée, culpabilisante voire infantilisante.

 

"Pourtant, il n’existe pas d’effet de seuil pour l’exposition à l’alcool. Il est toxique tout au long du développement, précise Bruno Gonzalez, directeur de recherche Inserm. Selon les périodes concernées, cette toxicité s’exprimera différemment : c’est ce que l’on appelle la fenêtre de vulnérabilité. Mais ce n’est pas parce que l’on en prend peu qu’il n’y aura pas d’effets." À la tête de l’équipe NeoVasc à Rouen, le chercheur en neurosciences étudie la formation des lésions cérébrales chez les nouveau-nés.

 

Au-delà du syndrome

 

La prévalence des troubles causés par l’alcoolisation fœtale est élevée (19,8 cas pour 1 000 en Europe selon une méta-étude menée par des chercheurs de l’université de Toronto), et sans doute sous-estimée du fait des difficultés diagnostiques. Seule la forme la plus sévère, le syndrome d’alcoolisation fœtale, est couramment diagnostiquée pendant la grossesse car elle induit des déformations du crâne et du visage observables précocement par échographie. Toutefois, de nombreux enfants victimes de l’alcoolisation maternelle ne seront repérés que vers l’âge de 5-6 ans, à l’école, lorsqu’ils montreront des troubles de l’apprentissage et du comportement (hyperactivité, retards dans l’acquisition du langage, impulsivité...).

 

Dans ces cas-là, on perd plusieurs années de prise en charge, à une période où le cerveau est très plastique et pourrait récupérer une partie des fonctions lésées. "Sans prise en charge précoce, une part importante des enfants se trouvera en situation d’échec scolaire", regrette Bruno Gonzalez. Cependant, il n’est pas concevable de suivre tous les jeunes pour lesquels il y a eu suspicion d’exposition afin d’intervenir dès les premiers symptômes. Les travaux de l’équipe rouennaise se proposent d’apporter une réponse à ce problème par le développement d’une nouvelle génération de biomarqueurs de l’alcoolisation. "Jusqu’ici, on ne disposait que de biomarqueurs d’exposition, c’est-à-dire d’outils qui permettent de déterminer si l’enfant a été exposé à l’alcool grâce à la détection de composés témoignant de son métabolisme ou de sa toxicité, dans le foie notamment, ajoute le chercheur. Il nous fallait un biomarqueur qui puisse nous informer sur la qualité du neurodéveloppement, ce qui n’existait pas."

 

En étroite interaction avec le service de pédiatrie du CHU de Rouen dirigé par Stéphane Marret, son équipe a réussi à identifier un biomarqueur dans le placenta qui indique des anomalies de l’angiogenèse cérébrales cérébrale, c’est-à-dire de la formation des vaisseaux qui vont irriguer le système nerveux. "C’est un processus concomitant avec la neurogenèse du point de vue temporel et anatomique. Les vaisseaux ont un rôle de pourvoyeur d’énergie mais également de guide dans la migration de certaines populations de cellules nerveuses", explique Bruno Gonzalez. "En bref, il faut une vascularisation cérébrale correcte pour obtenir un neurodéveloppement correct." À partir d’un certain stade du développement, les chercheurs ont observé que l’angiogenèse avait été altérée chez tous les enfants exposés à l’alcool in utero : les vaisseaux étaient bien présents, mais de manière désorganisée. De même, les cellules nerveuses qui utilisent ces vaisseaux comme guide présentaient des anomalies. Restait à comprendre les mécanismes moléculaires et cellulaires qui préludent à ces altérations.

 

L’équipe a examiné les familles de molécules qui entrent en jeu dans le contrôle de l’angiogenèse, comme le facteur de croissance de l’endothélium vasculaire (VEGF). L’alcool perturbe les récepteurs du VEGF dans le cerveau – notamment le VEGFR1. Or, il est l’unique récepteur d’un autre membre de la famille, le PLGF, ou facteur de croissance placentaire. Ce dernier est très difficilement détectable dans le cerveau, alors qu’il est présent en quantité dans le placenta : et s’il était sécrété dans le circulation sanguine du foetus, jouant un rôle dans l’angiogenèse cérébrale ? L’équipe a ainsi formulé l’hypothèse de l’existence d’une connexion placenta-cerveau qui serait effectivement perturbée par l’alcool. "Chez l’animal, nous sommes allés encore plus loin, nous avons pu démontrer la fonction de ce lien", précise le chercheur.

 

Placenta et cerveau, même combat

 

L’examen de placentas alcoolisés et non alcoolisés chez l’Homme et la souris a révélé qu’il y avait bien une relation entre les désordres vasculaires du placenta et ceux du cerveau. Le dosage du PLGF pouvait donc devenir l’indicateur d’une atteinte cérébrale de l’enfant, mais pas seulement : des études sur l’animal ont montré que réprimer ou amplifier l’expression du PLGF permettait de mimer les atteintes provoquées par l’alcool, ou de les corriger. "En plus de disposer d’un biomarqueur, nous avons un outil qui permet d’avoir une action sur les organes, ce qui est complètement nouveau, se réjouit Bruno Gonzalez. Nous avons donc déposé un brevet thérapeutique en complément d’un premier brevet biomarqueur. À présent, dans le cadre d’un troisième brevet, neurologique, nous nous demandons quel est l’impact de l’alcool et du PLGF placentaire sur la maturation et le positionnement de certaines populations de cellules nerveuses. Nous tenterons également de tester si la modulation du PLGF placentaire permet d’agir sur les troubles du comportement induits par l’alcoolisation in utero." Le placenta se révèle encore une fois un organe particulièrement intéressant car, détruit à la naissance, il permet des prélèvements faciles et non invasifs. On peut donc imaginer que cette nouvelle génération de biomarqueurs conviendrait à des stratégies de dépistage néonatal systématique. Reste qu’il faudra poursuivre les politiques de santé publique qui visent à diminuer la prévalence de la consommation d’alcool chez les femmes enceintes.

 Science 

11.02.2019




While it has been known since the 1960s that alcohol consumption by pregnant women can cause fetal malformations, clinical research has not yet been able to determine precisely under what conditions these disorders can occur.



Several factors are discussed: stage of gestation, frequency and quantity of alcohol consumed, tendency to binge drinking. But the effects of exposure will vary greatly depending on the individual. Unfortunately, this uncertainty encourages families to put the risks into perspective, even in sensitized populations. In addition, the slogan "zero alcohol" is sometimes perceived as an exaggerated, guilt-ridden or even childish injunction.



"However, there is no threshold effect for alcohol exposure. It is toxic throughout the development process," says Bruno Gonzalez, Inserm research director. Depending on the time period concerned, this toxicity will be expressed differently: this is called the vulnerability window. But just because you don't take much doesn't mean there won't be any effect." As head of the NeoVasc team in Rouen, the neuroscientist is studying the formation of brain damage in newborns.



Beyond the syndrome



The prevalence of fetal alcohol spectrum disorder is high (19.8 cases per 1,000 in Europe according to a meta-study conducted by researchers at the University of Toronto), and probably underestimated due to diagnostic difficulties. Only the most severe form, fetal alcohol syndrome, is commonly diagnosed during pregnancy because it induces deformities of the skull and face that can be observed early by ultrasound. However, many children who are victims of maternal alcohol abuse will not be detected until around the age of 5-6 in school when they show learning and behavioural disorders (hyperactivity, delays in language acquisition, impulsivity, etc.).



In these cases, we lose several years of care, at a time when the brain is very plastic and could recover some of the damaged functions. "Without early care, a significant proportion of children will be in a situation of school failure," says Bruno Gonzalez. However, it is not conceivable to follow all young people for whom there has been a suspicion of exposure in order to intervene at the first symptoms. The work of the Rouen team aims to address this problem by developing a new generation of alcohol biomarkers. "Until now, we only had exposure biomarkers, i. e. tools that make it possible to determine if the child has been exposed to alcohol by detecting compounds that reflect its metabolism or toxicity, particularly in the liver," adds the researcher. We needed a biomarker that could inform us about the quality of neurodevelopment, which did not exist."



In close interaction with the paediatrics department of the Rouen University Hospital, headed by Stéphane Marret, his team has succeeded in identifying a biomarker in the placenta that indicates abnormalities in cerebral cerebral angiogenesis, i.e. the formation of vessels that will irrigate the nervous system. "It is a concomitant process with neurogenesis from a temporal and anatomical point of view. The vessels have a role as energy providers but also as guides in the migration of certain populations of nerve cells," explains Bruno Gonzalez. "In short, correct cerebral vascularization is required to achieve correct neurodevelopment." At a certain developmental stage, the researchers observed that angiogenesis had been altered in all children exposed to alcohol in utero: the vessels were present, but in a disorganized manner. Similarly, the nerve cells that use these vessels as a guide had abnormalities. It remained to understand the molecular and cellular mechanisms that prelude these alterations.



The team examined the families of molecules involved in the control of angiogenesis, such as vascular endothelial growth factor (VEGF). Alcohol disrupts VEGF receptors in the brain - especially VEGFR1. However, it is the only receptor for another family member, PLGF, or placental growth factor. The latter is very difficult to detect in the brain, whereas it is present in large quantities in the placenta: what if it were secreted into the bloodstream of the fetus, playing a role in brain angiogenesis? The team hypothesized that there was a placental-brain connection that would actually be disrupted by alcohol. "In animals, we went even further, we were able to demonstrate the function of this link," says the researcher.



Placenta and brain, same fight


Examination of alcoholic and non-alcoholic placentas in humans and mice revealed that there was indeed a relationship between vascular disorders of the placenta and those of the brain. The determination of PLGF could therefore become an indicator of brain damage in children, but not only: animal studies have shown that suppressing or amplifying PLGF expression can mimic or correct alcohol-induced damage. "In addition to having a biomarker, we have a tool that allows us to have an action on the organs, which is completely new," says Bruno Gonzalez. We have therefore filed a therapeutic patent in addition to a first biomarker patent. Now, in the context of a third neurological patent, we are asking ourselves what is the impact of alcohol and placental PLGF on the maturation and positioning of certain nerve cell populations. We will also try to test whether placental PLGF modulation can act on behavioural disorders induced by alcohol in utero." The placenta is once again a particularly interesting organ because, destroyed at birth, it allows easy and non-invasive sampling. It is therefore conceivable that this new generation of biomarkers would be suitable for systematic neonatal screening strategies. However, public health policies aimed at reducing the prevalence of alcohol consumption among pregnant women must be pursued.

Science

11.02.2019

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