16 avril 1943. Le chimiste Albert Hofmann s'offre le premier trip au LSD par accident


  

Le 16 avril 1943, Albert Hofmann décide de se remettre à étudier une molécule qu'il avait délaissée cinq ans auparavant. C'est très étrange, car dans les laboratoires pharmaceutiques où les nouvelles molécules à tester défilent par milliers, on n'a pas l'habitude de revenir en arrière. Synthétisée à partir de l'ergot de seigle, le diéthylamide de l'acide lysergique, ou LSD, n'avait pas tenu ses promesses comme stimulant circulatoire. Lui-même ne saura jamais dire pourquoi, ce jour-là, il tire le LSD de l'oubli.

 

Lors de la phase de cristallisation du LSD, Hofmann se sent tout chose, bizarre. "J'étais pris d'une agitation extraordinaire avec de légers vertiges. Dès mon arrivée à la maison, je me suis couché, sombrant dans un état non désagréable, comme si j'avais été intoxiqué, avec mon imagination très stimulée. Comme endormi, les yeux clos (la lumière du jour m'était très désagréable), je percevais un flot ininterrompu d'images fantastiques aux formes extraordinaires, et aux couleurs comme produites par un kaléidoscope. Au bout de deux heures, cet état s'est estompé." Hofmann vient de vivre le premier trip au LSD.

 

Vertige et anxiété

 

Naturellement, le chimiste cherche à comprendre l'origine de son trouble. Il pense d'abord à un effet du solvant, mais il l'utilise depuis longtemps sans jamais avoir éprouvé une telle sensation. Conclusion, le LSD est forcément le coupable. Même s'il a pris toutes les précautions voulues, une microscopique goutte s'est probablement déposée sur l'un de ses doigts, avec lequel il s'est ensuite frotté l'oeil. Pour confirmer ses soupçons, Hofmann décide d'en absorber volontairement une dose infinitésimale.

 

Le 19 avril, il avale donc 0,25 mg de LSD, soit le quart de la dose prescrite habituellement pour les alcaloïdes. Il pense ainsi être à l'abri de toute expérience désagréable. En réalité, le LSD est tellement puissant qu'il s'agit d'une dose maousse capable de faire planer un pachyderme. "Ce fut une expérience horrible !" Quarante minutes après l'absorption, les vertiges surgissent, accompagnés d'un immense sentiment d'anxiété. Sa vue se brouille, certaines parties de son corps ne répondent plus à sa volonté. Il a envie d'éclater de rire. Il doit lutter pour parler intelligiblement. Hofmann décide de rentrer chez lui. Comme il n'a pas de voiture, il demande à son assistant de l'accompagner à vélo. Il zigzague : c'est Tom Simpson escaladant le mont Ventoux (pour les jeunots, précisons que ce cycliste est tombé raide mort sur le bord de la route, l'organisme bourré d'amphétamines).

 

"Monstre intérieur"

 

Le chimiste a l'impression que la route vacille, le paysage lui apparaît comme vu dans un miroir déformant. Il pense que le temps s'est arrêté alors qu'il file sur son vélo. Après quatre kilomètres de route, les deux hommes finissent par arriver à destination. Hofmann peine à articuler pour demander à son assistant d'aller chercher son médecin de famille et de rapporter du lait, la boisson habituelle en cas d'empoisonnement. Les symptômes allant crescendo, il s'allonge sur le sofa. C'est alors qu'il traverse une des plus terrifiantes expériences de toute son existence. Il pense même être mort. "Tous les objets dans la pièce se sont mis à tourner autour de moi, les meubles adoptaient des formes grotesques et effrayantes. Ils étaient agités d'un mouvement perpétuel, comme emplis d'une angoisse."

 

Une voisine lui apporte deux litres de lait, il ne la reconnaît pas. "Ce n'était plus Mme R., mais plutôt une sorcière malveillante et insidieuse qui arborait un masque coloré." Mais cette déformation du monde extérieur n'est pas le pire. C'est la désintégration de son monde intérieur qui le terrifie le plus. "Un démon m'avait envahi, avait pris possession de mon corps, de mon esprit et de mon âme. J'ai sauté sur mes pieds et j'ai hurlé pour essayer de me libérer de lui, mais je me suis de nouveau écroulé sur le sofa. La substance que je voulais tester m'avait vaincu. C'était le démon qui avait dédaigneusement triomphé de ma volonté. J'ai été pétrifié par la peur de devenir fou."

 

Lutte contre la schizophrénie

 

Le médecin débarque enfin, mais le malheureux est aussi désarmé que s'il avait trouvé une mouche en train de danser le flamenco. À part les pupilles dilatées du chimiste, il n'enregistre aucun autre symptôme. Le pouls, la tension et le souffle sont normaux. Il se contente de coucher son patient et de le veiller. Après plusieurs heures, Hofmann revient sur terre, son expérience devient moins angoissante, plus jouissive. Il s'endort paisiblement.

 

Le lendemain matin, il se réveille en pleine forme, comme un bébé découvrant un monde enchanteur. Son petit déjeuner lui paraît délicieux. Une promenade dans le jardin l'exalte. Ses sens sont aiguisés comme jamais. Il a l'impression d'explorer un nouvel environnement. Durant 24 heures, Hofmann vogue sur un nuage. Après cette incroyable expérience, le chimiste est persuadé que le LSD se révélera d'une grande aide pour aider à soigner certaines maladies psychiatriques, comme la schizophrénie. Mais jamais, au grand jamais, il n'imagine qu'il puisse être utilisé comme pourvoyeur de paradis artificiels. Son expérience a été trop terrifiante durant les premières heures pour qu'il imagine cela.

 

Quand, plusieurs années plus tard, Timothy Leary se fait le chantre du LSD, Hofmann le met violemment en garde contre une utilisation récréative... En 2006, à l'âge de 100 ans, Hofmann réclame encore la levée de l'interdiction du LSD, persuadé qu'il pourrait aider certains dépressifs à renouer avec la vie.

 

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