UN CERVEAU MÂLE OU FEMELLE ?  UNE QUESTION D'ŒTRADIOL !



Article rédigé par Audrey Binet

 

d'après les recherches de Julie Bakker 

 


17/05/11

 

 

  

La différenciation sexuelle du cerveau permet à un individu d’adopter un comportement sexuel mâle ou femelle à partir de la puberté. Alors qu’il est bien établi que la testostérone agit pendant le développement embryonnaire pour masculiniser le cerveau, jusqu’ici les scientifiques pensaient que l’oestradiol n’intervenait pas dans la féminisation du cerveau. Une théorie que des chercheurs de l’ULg mettent à mal en prouvant le contraire dans un article publié dans The Journal of Neuroscience.

 

Alors que les tabous autour de la sexualité tombent les uns après les autres depuis la fin du XXème siècle, le transexualisme reste relativement réprimé dans les sociétés occidentales. En effet, il y est souvent considéré comme une simple excentricité. Et pourtant, le transexualisme est une réelle discordance entre l’identité de genre et l’identité de sexe ressentie d’un individu. Pourquoi certaines personnes, malgré une anatomie parfaitement développée, ont-elles le sentiment d’appartenir à l’autre sexe ? L’origine de ce trouble est encore mal connue à l’heure actuelle. Une des pistes suivies par les scientifiques est le rôle des hormones sexuelles au cours du développement embryonnaire. Celles-ci seraient en effet impliquées dans la différenciation sexuelle du cerveau humain et programmeraient l’identité et l’orientation sexuelle d’un individu dès le stade embryonnaire.

 

« Les hormones sexuelles ont deux types de rôle qu’il faut distinguer », explique Julie Bakker, chercheur qualifié FNRS au sein de l’Unité de recherche en Neuroendrocinologie du Comportement du GIGA de l’ULg. « Au cours du développement, c’est-à-dire jusqu’à la puberté, ces hormones interviennent dans l’organisation du comportement. Ensuite, à la puberté, elles jouent un rôle plus activateur au niveau des comportements sexuels ».

 

Une féminisation du cerveau « par défaut »

 

Selon la théorie classique, les différences sexuelles au niveau du cerveau des mammifères et de leurs comportements se développent sous l’influence des hormones gonadiques. Ainsi le cerveau évoluerait selon une voie de type mâle sous l’action de la testostérone secrétée par les testicules. « Chez le mâle, les testicules se développent au cours des premiers mois du développement embryonnaire. Elles sécrètent la testostérone qui atteint le cerveau dans le courant du deuxième trimestre de développement et induit sa masculinisation », précise Julie Bakker. En réalité, pour induire cette masculinisation du cerveau, la testostérone doit paradoxalement être transformée en œstradiol – hormone de la catégorie des œstrogènes, considérée comme la véritable hormone femelle - par une enzyme appelée «aromatase ». Il faut noter que la nécessité de cette conversion de la testostérone en oestradiol est surtout importante pour la masculinisation du cerveau chez les rongeurs. Hommes femmesPar contre, nous pensons que c’est la testostérone et pas l’oestradiol qui masculinise le cerveau humain !

 

« Chez les femelles, par contre, les ovaires ne sont pas actifs pendant le développement prénatal. Il n’y a donc pas de sécrétion d’hormones sexuelles » continue la chercheuse. La théorie classique soutient donc l’hypothèse que pour qu’un cerveau se masculinise et déclenche un comportement typiquement mâle, il faut de la testostérone au cours du développement prénatal. En l’absence de testostérone, les caractéristiques neurobiologiques et comportementales de type femelle se développeraient alors par « défaut ».

  

Des souris et des hommes

 

L’objectif principal des recherches de Julie Bakker est d’identifier les circuits neuronaux impliqués dans le comportement reproducteur et d’analyser les mécanismes par lesquels les hormones stéroïdes induisent une différenciation sexuelle du cerveau. Pour ce faire, et grâce à au soutien du National Institute of Health (NIH) (USA) et de la Nederlandse Organisatie voor Wetenschappelijk Onderzoek (NWO-VICI) (NL), la scientifique combine des projets de recherche sur des souris transgéniques et sur des modèles humains.« Nous travaillons avec des souris transgéniques qui ne sont plus capables de synthétiser telle ou telle hormone et l’on observe les répercussions que cela a sur leur comportement sexuel », explique Julie Bakker. « Pour les recherches sur le cerveau humain, nous faisons des examens post mortem mais nous avons également recours à l’imagerie cérébrale fonctionnelle (fMRI) ».  

 


paradigme comportement

 

Lors de précédentes études, Julie Bakker et ses collègues ont utilisé des souris ArKO, c'est-à-dire des souris chez lesquelles l’expression du gène codant pour l’enzyme aromatase a été supprimée. Incapables de transformer la testostérone en œstradiol au cours de leur développement prénatal, les souris mâles de cette lignée adoptent un comportement similaire aux mâles castrés à l’âge adulte. Si ces observations sont en ligne avec la théorie classique de la différenciation sexuelle du cerveau chez les mammifères, Julie Bakker et son équipe ont observé un autre détail qui remet cette théorie en question : les souris femelles ArKO montraient elles aussi un comportement sexuel anormal à l’âge adulte. En effet, celles-ci exprimaient moins le comportement de lordose et passaient moins de temps à investiguer les odeurs de leurs congénères. Ces résultats suggéraient donc que l’œstradiol pourrait avoir un rôle à jouer dans la différenciation du comportement sexuel chez les femelles. Une piste que Julie Bakker s’est empressée de creuser… 

  

Une théorie obsolète ?

 

Dans un article récemment publié dans The Journal of Neuroscience (1), Julie Bakker et ses collaborateurs décrivent les expériences qui leur ont permis de confirmer l’importance de l’œstradiol pour le développement du cerveau féminin. Les chercheurs sont en effet parvenus à corriger le déficit de comportement sexuel chez les souris femelles ArKO grâce à un traitement à l’œstradiol. Point important à souligner : « Ce traitement est efficace après la naissance des souris femelles ArKO et non avant. Plus précisément, nous sommes arrivés à corriger le comportement sexuel des femelles ArKO lorsque le traitement était administré peu avant la puberté de ces animaux », indique Julie Bakker. Selon la chercheuse, au vu de ces nouveaux résultats, la théorie classique de la différenciation sexuelle du cerveau des mammifères serait donc à revoir. Comme la masculinisation, la féminisation du cerveau serait elle aussi sous l’influence d’hormones sexuelles et ne se produirait pas « par défaut ». De plus, il est important de noter le décalage de « timing » observé dans la différenciation sexuelle du cerveau mâle et femelle. Alors que chez les mâles la testostérone doit agir au cours du développement embryonnaire pour induire la masculinisation du cerveau, chez les femelles, la différenciation sexuelle semble se produire peu avant la puberté…

 


differenciation sexuelle

   

  

(1). Brock O, Baum MJ, Bakker J (2011).  The development of female sexual behaviour requires prepubertal estradiol. The Journal of Neuroscience 31 (15):5574-5578.

 

 

  

Pister le parcours de l’œstradiol dans les circuits neuronaux

 

Du côté de ses recherches sur le modèle humain - qu’elle mène en collaboration avec le Nederlandse Instituut voor Neurowetenschappen (NIN) et le « Medisch Centrum Vrije Universiteit » à Amsterdam (Pays-Bas) - Julie Bakker a déjà sa petite idée sur la façon de mettre en perspectives ces nouveaux résultats. « Nous pourrions regarder chez les femmes ne synthétisant pas d’œstrogènes, comme les femmes atteintes du syndrome de Turner par exemple, si un traitement avec ces hormones entraînent des modifications au niveau cérébral, si le cerveau semble se féminiser ou non », explique la chercheuse. Le syndrome de Turner est une maladie chromosomique. Les femmes qui en sont atteintes n’ont qu’un seul chromosome X. Parmi les symptômes turnériens, on compte notamment une petite taille et un non fonctionnement des ovaires, et donc pas de sécrétion d’œstrogènes. « Dans un premier temps, les patientes reçoivent un traitement aux hormones de croissance pour atteindre une taille maximale. Ensuite, à la puberté, débute un traitement aux œstrogènes afin de permettre le développement des jeunes filles », précise Julie Bakker.

 

feminisant oestradiol

 

Cette dernière projette également de tenter de déterminer où agit l’œstradiol dans le cerveau de type femelle et quels sont les systèmes neuropeptidiques impliqués dans la féminisation du cerveau. « Mais aussi de voir quelle est la contribution des gènes situés sur le chromosome X à ce processus de féminisation car les gènes et les hormones interagissent », conclut Julie Bakker. Autant de démarches qui permettront de rassembler des éléments de réponse et de mieux comprendre pourquoi certaines personnes ont le sentiment d’appartenir au sexe opposé.